- ÉCOLE BELGE (mode)
- ÉCOLE BELGE (mode)ÉCOLE BELGE, ModeSouvent présentée comme l’héritière européenne des stylistes japonais qui déstabilisèrent la structure du vêtement occidental au début des années 1980 (Comme des Garçons, Yohji Yamamoto), l’«école belge» fait son apparition sur la scène de la mode internationale à l’aube des années 1990. Les stylistes auxquels on associe cette appellation commode ne revendiqueront jamais leur appartenance à un mouvement commun. Tous, ceux de la première vague en tout cas, sont nés entre 1957 (Martin Margiela) et 1965 (Véronique Leroy). La plupart sont diplômés de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. Six d’entre eux sont issus de la même promotion (1982): Dick Bikkembergs, Ann Demeulemeester, Walter Van Beirendonck, Dries Van Noten, Dirk Van Saene et Marina Yee, qui abandonnera ensuite le métier. D’ailleurs, on parlera encore du «Groupe des Six», ou des «Six d’Anvers», lorsqu’ils présenteront ensemble leurs créations au British Designer Show de Londres entre 1986 et 1988, soutenus par Geert Bruloot et sa boutique anversoise Louis . Enfin, la plupart ont bénéficié peu ou prou des initiatives financées par le gouvernement belge dans les années 1980 pour promouvoir la création de mode et sortir «par le haut» une industrie du textile et de l’habillement en crise: lancement du slogan «Mode, c’est belge» et du magazine BAM , auquel ils participeront entre 1988 et 1990 à des titres divers (stylisme, textes, etc.), institution d’une «Canette d’Or» entre 1982 et 1990, concours annuel destiné à primer de jeunes créateurs.Cette triple communauté, générationnelle, éducative et professionnelle explique qu’on ait parlé de la naissance d’une «école belge», étiquette dont chaque styliste se débarrassera rapidement. Quoi de commun en effet entre les elfes longilignes et subtilement effilochés d’Ann Demeulemeester, à la féminité effacée, affleurant dans l’agencement mouvant de ses vêtements «déconstructionnistes», comme on dira parfois à son propos, et les corps techno de Walter Van Beirendonck («Kiss the future» est sa devise), bardés de couleurs crues ou fluos, blasonnés de symboles et de chiffres, tatoués de lettres et de logos, armés de zips et de Velcro, à la croisée des modes virtuelles du cyberwear des internautes, des parures tribales du clubwear des noctambules modernes, des panoplies high tech du sportswear des athlètes ou du workwear des métiers à risques? Quoi de commun entre les lins et les laines rustiques, les soies floquées et matelassées, écologisme mâtiné d’Orient, classicisme un peu protestant, de Dries Van Noten et les pantalons imprimés «panthère», les petites robes moulantes, éclatantes de couleurs, en tissus synthétiques, de Véronique Leroy, «inspirées des séries B, des chanteurs B, des émissions B, de tout ce qui est B» (Jardin des Modes , mai 1994), sublimation pimpante de la coquetterie des femmes ordinaires, petites bombes de fraîcheur contre «la dictature des designers japonais» qui depuis quinze ans, accuse la jeune styliste, ont rendu «humiliante l’envie de plaire» et «synonymes de bêtise» les mots «sexy» et «jolie» (Libération , 17 mars 1997)?Parmi ces créateurs, Martin Margiela est celui qui incarne, en France particulièrement, l’«avant-garde» des années 1990. Cette reconnaissance est sans doute pour beaucoup dans sa nomination comme directeur artistique de la maison Hermès, en avril 1997, à la surprise du milieu professionnel. Ancien assistant de Jean-Paul Gaultier, il présente sa première collection à Paris, en 1988, au Café de la Gare. Les suivantes auront pour arènes une boîte de nuit de Pigalle, un terrain vague du XXe arrondissement, un hôpital désaffecté du XVIIIe, l’«hôpital éphémère», un ex-supermarché, un ancien garage, un entrepôt de la S.N.C.F., la station de métro Strasbourg Saint-Denis ou encore le dépôt de l’Armée du Salut: autant d’abris de fortune, si l’on peut dire, pour une mode elle aussi apparemment sans domicile fixe. Comme certains de ces lieux à l’abandon ou sans aura, érigés en sanctuaires provisoires du nouveau, les vêtements de Martin Margiela sont eux aussi désaffectés: fripes des Puces retravaillées, pièces d’époque reproduites à l’identique (veste de cérémonie britannique pour homme du début du siècle, tailleur pour femme des années 1940, blouse noire d’écolière ouverte dans le dos, soutane de curé, etc.). De ses vêtements, il étrique la carrure, expose l’envers, rend visibles les coutures, pinces et poches, coudes et genoux, laisse les bords inachevés, sans ourlets, valorisant ainsi une sorte de savoir-défaire , miroir déformant dans lequel le plus que centenaire savoir-faire d’Hermès cherche aujourd’hui son avenir stylistique.
Encyclopédie Universelle. 2012.